23.1.21

Article ATC TATTOO / INKERS




 

 Merci Stefayako et Dimitri HKpour cet article! Vous pouvez le lire en intégralité en suivant ce lien!

Thank you Stefayako and Dimitri HK for this article! You can read it here!



HORS DES SENTIERS BATTUS AVEC LIONEL FAHY

Texte : Stefayako / Photos : Slaine Grew, Visuels : Lionel Fahy

Être le mouton noir ne fait pas peur à Lionel Fahy. Son pseudo « Out of step » en clin d’œil à un album de Minor Threat en est la preuve. Lionel Fahy est un artiste en mouvement. Tour à tour musicien, tatoueur, peintre et plasticien, il multiplie les moyens d'expression pour y distiller son énergie artistique. Un style minimaliste et faussement simpliste qui emprunte beaucoup à la poésie enfantine. Nul besoin de le faire entrer dans une case trop étriquée car sa créativité s'épanouit dans la diversité. Co-fondateur et tatoueur résident des Derniers Trappeurs à Paris, il consacre l'autre partie de son temps à son duo artistique AGAMFAHY qu'il forme avec sa femme Tal Agam. Ils associent rêves et voyages pour créer des installations alliant peinture, son et broderie sur fond de sujets de société. 

 


Road trip

La musique a précédé le tatouage dans la carrière de Lionel Fahy, du moins professionnellement. « J’ai commencé à tatouer à la main à 15 ans. J’étais celui qui savait faire des têtes de punk, celui qui tatouait les punks. » S’il a mis le tatouage de côté un temps, c’est pour mieux s’y consacrer plus tard.
Lionel a passé dix ans sur la route avec son groupe de punk Portobello Bones. « C’était difficile car on n’était personne et on faisait un style de musique qui n’était pas très bien accepté au début des années 90. On était dans des grandes utopies de mode de vie. » Il multiplie les rôles : chanteur, guitariste, manager. Il se charge aussi de l’organisation des concerts, du label, de la promotion du groupe dans un fanzine ou une émission de radio. Une vie bien remplie. 

 


« A l’époque, on n’avait pas internet à la maison, c’est quasiment le néolithique. On travaillait avec le téléphone, le fax et on mettait des timbres sur les enveloppes. Il y avait très peu de publications sur le tatouage. Le moindre magazine d’import américain, on regardait à la loupe, on était comme des fous à essayer de comprendre comment on faisait un aigle en couleur ou une tête d’indien. C’est de cette époque-là que je viens. » Le voyage est de ce fait le meilleur moyen de se construire une bonne culture tattoo. On est bien loin de l’ère Instagram avec les artistes du monde entier à portée de main. Grâce à ses tournées de concerts, il va à la rencontre des tatoueurs de chaque ville pour en savoir plus. « Je savais que c’était un métier où on n’était pas les bienvenus. C’était compliqué de trouver du matériel. On te dit que tu ne peux pas, que c’est interdit, que t’as pas le droit. Alors forcément, je veux en être. »
Et c’est justement lors de ses tournées qu’il croise la route de Yann Black. Tous deux passionnés de musique et de tatouage, ils deviennent amis et partagent leurs bonnes pratiques. Yann avait déjà une technique avancée et un trait novateur bien à lui qui a vite trouvé son public. C’est ensuite grâce à Rafto d’Utopia à Poitiers que Lionel est devenu tatoueur professionnel. 

 


L’ouverture des Derniers Trappeurs à Paris avec Roberto Dardini et Adrien Boettger marque un tournant : l’arrêt des voyages pour le tatouage. C’est désormais la seule adresse pour se faire tatouer par Lionel Fahy. Il règne une ambiance familiale et conviviale non feinte dans ce shop. L’amitié qui lie les résidents est palpable pour les clients et offre un espace d’accueil intime, chaleureux et bon enfant. « Avec Roberto, ça doit faire 15 ans qu’on travaille ensemble. On est avant tout de grands amis. Il y a eu l’envie d’avoir un lieu où on se sent vraiment bien. On rêvait d’avoir un endroit à nous. » Les Derniers Trappeurs c’est 210 m² au cœur de Paris et un travail titanesque pour rendre ce lieu accueillant et feutré. Un véritable port d’attache pour ce voyageur invétéré. Un lieu pour travailler dans des conditions optimales et retrouver les amis. 

 


Avoir la liberté de s’exprimer est primordial. Une force et une chance. « Je crois que tout ce que je peux faire en tant qu’être humain, c’est parce qu’on a tous un grand besoin de s’exprimer. On n’a pas tous la chance de pouvoir le faire, on n’est pas forcément écoutés, ou vus. » Ses moyens d’expression sont multiples. Cela passe par le dessin, la peinture ou la musique. Comme une introspection au plus profond de soi. Mais la diversité des voix n’est pas toujours la bienvenue : « c’est très difficile en France d’être accepté en tant que tatoueur, plasticien, musicien et peintre. Ce n’est pas normal. Tu dois forcément être dans une seule et unique case. »
La pluralité a toujours été importante chez les Derniers Trappeurs. Chercher à s’exprimer via l’illustration ou la peinture permet de revenir reboosté au tatouage. Cela libère la créativité et alimente l’imaginaire. La recherche d’autres sources d’énergies dynamise la pratique du tatouage car c’est en sortant de sa zone de confort qu’on peut se renouveler. 

 


La ligne parfaite

Au premier abord, on peut se demander, pourquoi prendre le pseudo « Out of step ». Il raconte « à l’époque où j’avais ma boutique à Nantes, ça s’appelait « Out of step » et ça vient d’un album de Minor Threat, un groupe américain que j’adorais. Ils avaient cette pochette toute débile où tu avais un mouton noir en dehors du troupeau. J’ai trouvé ça bien marrant donc j’ai peint toute la vitrine du shop avec une tondeuse à gazon et des moutons. Cela n’a pas du tout marché, c’était un fiasco ! » Dans sa boutique, pas de catalogue de flashs. Chaque tatouage se doit d’être unique. C’était le deal. Prendre du temps avec le client, connaître son histoire personnelle et la retranscrire ensemble par le dessin. Hors de question de faire du tatouage à la chaîne, cela ne correspond pas à sa vision de la vie et des rapports humains. « Je ne fais pas de dessins pour qu’ils soient reproduits X fois sur la peau des gens, ça ne m’intéresse pas. »
Il faut dire que le style graphique n’a pas toujours été bien accueilli dans l’univers du tatouage. Souvent cité comme un des précurseurs de ce style novateur et affirmé aux côtés de Yann Black, Jean-Luc Navette ou Topsi, Lionel Fahy est arrivé sur la scène tattoo avec un bagage culturel différent des autres tatoueurs de l’époque. Formé en école d’art et nourri aux musées et expositions en tous genres, testant toujours de nouveaux supports d’expression. Un style plus école d’art que biker en somme. 

 


Le chemin vers l’acceptation de ce style a été long et difficile. Il a fallu persévérer, faire de petits boulots alimentaires sans perdre de vue le rêve ultime de vivre un jour de son art. « Je recevais des menaces de gens qui m’écrivaient qu’ils allaient me casser les mains. J’ai même eu des menaces de mort d’une boutique du Texas disant que ce n’était pas du tatouage ! » Cette période compliquée dura environ 8 ans. Il se demande parfois « Mais qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Comment ça se fait que les gens réagissent d’une manière aussi violente alors que je dessine des oiseaux ? Je dessine des choses qui sont relativement douces, il n’y a aucune violence dans ce que je fais. Alors que si tu fais un fœtus empalé sur une épée, les gens vont applaudir ! » C’est novateur et anticonformiste, et donc incompris. « C’était une période où les gens se faisaient tatouer des armures pour faire peur à la petite vieille dans la rue. Une virilité un peu mal placée, et moi ça n’a jamais été mon truc. Je pense que tu n’as pas besoin de ça pour être un être humain respectueux. »
Le déclic s’est fait en Allemagne grâce à la publication d’une longue interview dans Tätovier. Un tournant dans sa vie d’artiste. « On m’a demandé de venir en Allemagne. J’ai dû emprunter pour pouvoir me payer le voyage et quand je suis arrivé là-bas, j’avais des clients qui voulaient que je les tatoue avec mon style. » Du jour au lendemain, il est très demandé en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Puis l’Angleterre et les États-Unis sont venus compléter sa clientèle. Cela ne fait que 6 ans qu’il a des clients en France, la demande restant majoritairement étrangère. 


 

Quand on lui demande d’où vient son style à fois minimaliste, graphique et poétique, la réponse est multiple. Les années de promo à l’ère du fax et des fanzines ont forgé le côté noir et blanc et visible au premier coup d’œil. L’efficacité première comme objectif. Pour le côté illustratif, ses quatre enfants ont certainement une responsabilité dans cet art de raconter des histoires. Des heures passées à la bibliothèque le nez plongé dans les bouquins ou des heures à leur lire l’histoire du soir avant de dormir. Les dessins à quatre mains n’ont pas de prix pour stimuler la créativité.
Mais ne vous fiez pas à ces lignes épurées et libres qui peuvent paraître faciles. « Ma volonté c’est d’essayer d’être le plus sobre possible, ce qui n’est pas le plus simple à faire en tatouage parce que tu ne peux pas gommer. Tu ne peux pas cacher un trait s’il n’est pas bien fait et faire en sorte que ça s’oublie. Un trait « pur » doit être le plus parfait possible. »
La tenue du tatouage dans le temps est un vrai sujet. La personne vieillit, sa peau aussi. La lisibilité du tatouage est essentielle et doit rester la même. Il est également possible de continuer l’histoire d’un tatouage, de lui donner une suite à la vue de nouveaux événements marquants d’une vie. Chaque tatouage joue avec la morphologie de la personne. Chaque cicatrice ou chaque grain de beauté, chaque couleur ou texture de peau, tout compte. 

 


Liberté d’expression

Artisan ou artiste ? L’éternelle question divise parfois les tatoueurs. Lionel est parfois l’un, parfois l’autre. « Je suis artisan en tant que tatoueur parce que je suis au service d’une personne. Je me considère comme un outil. » Face à un client, il est question de responsabilité et de redevabilité. Hors de question de faire passer son égo avant le choix de la personne et de l’influencer.
En revanche, « en tant que peintre-plasticien, je m’estime artiste dans le sens où je ne dois rien à personne et je me fous de ce que les gens pensent. C’est très différent ! »
La liberté d’expression à son point culminant est recherchée par le duo Agamfahy. Après avoir commencé à travailler ensemble lors d’une exposition de Lionel à Buenos Aires en Argentine en 2017, la collaboration s’est poursuivie pour un autre événement en Norvège. La fusion des styles et des moyens d’expression a tout de suite été une évidence. La broderie se mélange à la peinture, autant que la musique se mêle aux installations. Peu importe qui a fait quoi. 

 


Pour laisser libre cours à leur créativité, Lionel et Tal, créatrice sonore, travaillent dans leur immense atelier en Vendée. Plus pratique qu’un appartement parisien pour peindre des grands formats de trois mètres de hauteur par exemple. 

 


Ils abordent des thèmes politiques et sociaux en créant des immersions complètes aux différents niveaux de lecture, en fonction de l’âge ou de la sensibilité. « Les thématiques sont très politiques. On n’est pas des voyants mais par exemple on a eu une exposition à Paris qui s’appelait « Tisser des violences diffuses », sur comment l’Etat peut te faire taire et disparaître. Pour nous c’est super important, la liberté d’expression. »

 



Bien que les expositions à venir, notamment celles prévues à Tel-Aviv, soient reportées en attendant des jours meilleurs, ce duo ne manque pas de projets. Ils préparent la sortie d’un double vinyle abritant 50 créations sonores de Tal et d’un livre de 85 peintures noires sur blanc sérigraphiées réalisées pendant le premier confinement. Cette série porte sur la sexualité non genrée. 

« On travaille sur ces choses qui nous paraissent extrêmement importantes. D’autant plus qu’on a six enfants à deux, et on les voit grandir et se positionner dans la société. Je pense que c’est vraiment très compliqué de trouver sa place. »
Un projet de rétrospective de 6 ans de collaboration se profile également à l’horizon. « Je pense qu’on n’aura pas assez d’une vie pour tout aborder. »













 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.